Madame D.
Quelque part à Saint‑Gilles, dans le quartier Bosnie
Le 12 septembre 2014

Pouvez‑vous vous présenter ?

Je m’appelle D., je suis mère et grand‑mère.

Est‑ce que vous avez toujours vécu à Saint‑Gilles ?

J’ai vécu au Congo, je suis congolaise. Je viens de Lubumbashi, la capitale du cuivre. Après des allers‑retours entre le Congo et la Belgique, je me suis installée à Bruxelles définitivement ici à Saint‑Gilles.

Votre nom de famille fait très « belge », pas vraiment congolais.

C’est parce que je porte le nom de mon beau‑père belge, le mari de ma mère, qui m’a adoptée et qui est devenu mon père. Quand je suis arrivée ici dans l’immeuble, les gens s’imaginaient que j’étais blanche en lisant ce nom‑là sur la boîte aux lettres. Ils ont été surpris. Mon père biologique, lui, il est de Inongo, les mangeurs de poisson.

Qu’est‑ce que vous avez ramené de votre pays d’origine ?

Du Congo, je dirais que j’ai ramené entre autres les langues. Je parle lingala et swahili mais aussi un peu tshiluba et kikongo.

Et vos enfants ? Vous leur avez appris des langues parlées au Congo ?

Mes enfants parlent aussi le lingala, mais « basángó », on dit basángó, l’accent des prêtres. Les prêtres belges, au Congo, ils apprenaient le lingala pour pouvoir communiquer avec les gens. Mais ils avaient un accent. Alors, quand quelqu’un parle avec cet accent‑là, un accent belge, on dit qu’il parle le lingala des basángó.

Est‑ce que vous retournez dans votre pays d’origine ?

Oui, souvent… J’ai beaucoup de famille là‑bas. Je vais par exemple rendre visite à un de mes frères qui a une exploitation, il est agriculteur. Beaucoup de gens recommencent à pratiquer l’agriculture au Congo.

Est‑ce que vous ramenez des produits belges là‑bas ou des produits de là‑bas ici ?

Quand je vais au Congo, j’amène des vêtements, des chaussures mais surtout des médicaments. Les gens ont du mal à se soigner au Congo, les médicaments sont chers et ceux qui sont moins chers sont de mauvaise qualité, des médicaments chinois. En Belgique, tu trouves de la première qualité pour la plupart des produits, en Afrique c’est plutôt de la troisième qualité, c’est‑à‑dire la qualité chinoise. Quand je reviens du Congo, je ramène par exemple des poissons séchés — tilapia, poisson‑chat —, du manioc pilé, du maïs, des chenilles séchées, des feuilles de patate douce ou du mfumbua. Mais je n’ai pas besoin d’y aller pour avoir ces produits ou pour envoyer des choses là‑bas. Depuis Bruxelles, il y a plusieurs vols par semaine et 5 compagnies qui voyagent vers Kinshasa : tu as Brussels Airlines, Air Maroc, Turkish, Air France et Ethiopian Airlines. Sinon, on m’envoie aussi toutes sortes de produits naturels du Congo, pour mes problèmes de santé : des plantes médicinales ou des fruits, comme la mangousta, qui est bonne pour les reins et qui soigne même le cancer, à ce qu’on dit.

Sinon, les produits africains on les trouve aussi à Matongué…

Moi, je ne vais pas à Matongué, c’est toujours un peu le bordel. Je préfère aller au Marché du Midi ou aux Abattoirs, ou alors pas loin d’ici, un magasin de légumes, chaussée de Waterloo.

Est‑ce qu’il y a d’autres lieux dans Bruxelles où vous vous rendez régulièrement ?

J’aime bien aller place Morichar, à vélo. Je me pose sur un banc, je regarde les jeunes jouer. C’est animé mais en même temps, c’est très paisible. Sinon je vais souvent à Saint‑Josse, chez ma tante.

Est‑ce que vous voyagez ?

J’ai beaucoup voyagé en Afrique dans ma jeunesse, parce que mon père vendait de l’art africain et je travaillais avec lui. Je suis allée souvent du Congo à l’Afrique du Sud, en passant par la Zambie et le Botswana. On traversait ces pays en voiture pour vendre des objets en ivoire, en malaquite, en cuivre. Des cendriers, des statuettes d’animaux, des échiquiers, des boucles d’oreille, des colliers, … Dès que tu sors du Congo et que tu arrives en Zambie, tu sens la différence. À partir de la Zambie, les routes sont meilleures, des vraies routes asphaltées. Dans l’autre sens, tu sais que tu es arrivé au Congo quand tu commences à sentir les bosses.

Vous voyagiez toujours pour le travail ?

Non, j’ai déjà été en Zambie juste en vacances. Et au Congo‑Brazzaville aussi. Et puis encore maintenant, je vais en vacances en Europe. Mais c’est vrai que c’est toujours un peu du travail. Quand je vais à Londres, par exemple, j’achète des beaux pulls, puis je les revends ici un peu plus cher à des connaissances, ça paye une partie de mes vacances. Sinon en Allemagne, ils vendent un savon pharmaceutique qui est très bon pour la peau des africains. La marque c’est Ombia. En Allemagne, ça coûte 0,75 euros le flacon, ici, c’est 2,50 euros et au Congo, c’est 7 euros ! Alors je l’achète en Allemagne et je le revends ici ou au Congo, mais moins cher qu’au magasin bien sûr, ça dépanne les gens. Même chose en Italie ou en Espagne, j’achète quelques sacs et des chaussures en cuir pas trop cher, et je les revends ici. Sinon, j’ai déjà été en Suisse aussi, mais là‑bas, tout est cher. Je n’ai rien ramené.